Le tableau Le porte-étendard (1636), de Harmenszoon van Rijn Rembrandt, est temporairement interdit d’exportation du territoire français. Le ministre de la Culture a refusé, le 9 avril 2019, le certificat d’exportation demandé pour l’oeuvre, suivant l’avis de la Commission consultative des trésors nationaux. Les deux textes juridiques ont été publiés dans l’édition du 19 avril 2019 du Journal officiel de la République française.
Le porte-étendard ou Le porte-drapeau constitue, selon le Ministre, un «tableau magistral» dont l’état de conservation est jugé bon. Il a été peint «au cours d’une des périodes les plus virtuoses de la carrière» de l’artiste hollandais, indique l’arrêté ministériel refusant le certificat d’exportation. Le fait qu’aucune oeuvre de cette époque du maître ne figure dans les collections publiques françaises apparaît comme la principale explication du refus, à la lecture du document administratif signé de la main du ministre Franck Riester.
La Commission consultative des trésors nationaux souligne pour sa part que cet «exceptionnel tableau» représente «l’une des oeuvres les plus emblématiques» de Rembrandt. Elle a en effet été reproduite à d’innombrables reprises dès le XVIIIe siècle sous forme de copies et de gravures. L’oeuvre du peintre néerlandais a aussi appartenu à des collections prestigieuses. Elle est demeurée dans la collection Rothschild, en France, pendant plus d’un siècle et demi, après avoir fait partie de la collection du roi d’Angleterre George IV.
D’une «grande force monumentale», notamment en raison des «vifs effets de clair-obscur», Le porte-étendard représente une «extrême importance artistique et historique». La «composition ambitieuse» de la toile s’inscrit dans la foulée d’autres oeuvres peintes au cours de l’année 1636 par l’artiste, dont Danaé, conservé au Musée de l’Ermitage, et L’aveuglement de Samson, au Musée Städel. Autant son parcours remarquable que ses qualités artistiques exceptionnelles ont conduit la Commission à conclure que la toile présente un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art.
Texte intégral
Arrêté du 9 avril 2019 refusant le certificat prévu à l’article L. 111-2 du Code du patrimoine
Par arrêté du ministre de la Culture en date du 9 avril 2019, est refusé le certificat d’exportation demandé pour un tableau de Rembrandt, Le porte-drapeau (dit aussi Le porte-étendard), huile sur toile, signé et daté «Rembrandt f. 1636», ce tableau magistral, demeuré en bon état de conservation, à l’iconographie particulièrement originale parmi les représentations de porte-étendards de son temps, représentant une oeuvre emblématique d’un artiste majeur du XVIIe siècle, produite au cours d’une des périodes les plus virtuoses de la carrière de Rembrandt, dont aucun chef d’oeuvre de cette époque ne figure dans les collections publiques françaises.
Avis no 2019-02 de la Commission consultative des trésors nationaux
Saisie par le ministre de la Culture, en application de l’article R. 111-11 du Code du patrimoine;
Vu le Code du patrimoine, notamment ses articles L. 111-2, L. 111-4 et R. 111-11;
Vu la demande de certificat d’exportation déposée le 21 janvier 2019, relative à un tableau de Rembrandt, Le porte-drapeau (dit aussi Le porte-étendard), huile sur toile, signé et daté «Rembrandt f. 1636»,
La Commission régulièrement convoquée et constituée, réunie le 20 mars 2019,
Après en avoir délibéré,
Considérant que le bien pour lequel le certificat d’exportation est demandé constitue un exceptionnel tableau de Rembrandt (1606-1669), représentant un porte-enseigne, et considéré comme l’une des oeuvres les plus emblématiques de cet artiste majeur du XVIIe siècle; que cette composition ambitieuse, réalisée en 1636, révèle la manière magistrale du peintre, alors âgé de trente ans et déjà parvenu à l’un des sommets de son art, ainsi que le démontrent certaines de ses autres productions connues de la même année, telles Danaé (conservée à Saint-Pétersbourg) et L’aveuglement de Samson (Francfort); que ce porte-étendard, représenté de profil à mi-corps et dévisageant fièrement le spectateur dans une attitude martiale, dont l’idée est peut-être empruntée à des gravures du XVIe siècle, notamment d’Albrecht Dürer, Lucas de Leyde ou Hendrick Goltzius, illustre un type de figures chargées de fonctions symboliques, dont on connaît des portraits collectifs ou individuels; que ce tableau, doté d’une grande force monumentale, créée en particulier par de vifs effets de clair-obscur, dans une gamme de couleurs dominée par les bruns, les ors et les gris, est sans doute moins un portrait, ou un autoportrait, comme certains l’ont pensé, qu’une figure de fantaisie, dépeinte avec une certaine distanciation; qu’en fonction de ses qualités intrinsèques, cette toile a connu une renommée précoce, attestée par l’existence de nombreuses gravures et copies qui l’ont reproduite dès le XVIIIe siècle, ainsi que par sa présence dans des collections prestigieuses, notamment celle du roi d’Angleterre, George IV, et par des mentions admiratives lors de ses passages dans des ventes publiques; que cette oeuvre, présente en France depuis plus d’un siècle et demi dans une des plus illustres collections constituées au XIXe siècle, est aussi l’une de celles qui ont été les moins vues au XXe siècle, gagnant de ce fait une forme de notoriété supplémentaire; que ce rare tableau, au parcours bien documenté et en bon état de conservation, d’une extrême importance artistique et historique, est une oeuvre essentielle de la production de Rembrandt, issue de l’une des périodes les plus virtuoses de sa carrière, et une image unique dans l’iconographie des porte-étendards, qui doit être maintenue sur le territoire national;
Qu’en conséquence, cette oeuvre présente un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire et de l’art et doit être considérée comme un trésor national;
Émet un avis favorable au refus du certificat d’exportation demandé.
Pour la Commission:
Le président,
E. Honorat